Gesh: Marion Verboom

Press release
« La Forme est indissolublement liée à un partenaire, aussi universel qu’elle: la force. Sans lui la forme ne se constituerait pas et pourtant sans répit, il lutte pour la détruire. Ce couple dialectique, solidaire de celui formé par l’Espace et le Temps, poursuit son conflit depuis la matière jusqu’à l’art, de l’atome à Rembrandt »

René Huygue, Formes et forces, 1971.


A l’occasion de son exposition personnelle à la galerie, Marion Verboom présente un corpus d'œuvres inédites s’articulant autour de deux types de volumes qui construisent une dialectique spaciale: les élévations appelées aussi Achronies et les plans pliés. Les élévations sont construites par associations de formes et de matières, obéissant à une méthode d'empilement sur un axe vertical. "Axe vertical de la matière qu’on appelle aussi le Temps" pour citer l’artiste. Les plans pliés sont quant à eux le résultat d'une matière fluide stratifiée et catalysée à l'intérieur d’un profil soumis à l'horizontalité, pour maîtriser le mouvement de ces fluides (résine plâtre,ciment).

Les formes évoluent de façon organique au gré du temps qui passe et des croisements interculturels. Elles bougent avec les mains de celui qui les forme et s’influencent les unes les autres. Cependant elles n’en restent pas moins des marqueurs qui temporisent tout en témoignant de la vie d’une civilisation. Elles sont parfois désuètes alors que certaines nous donnent ce sentiment d’intemporalité. Le félin gardant la porte de la ville de Hattusha a fini par perdre les bouclettes qui caractérisaient son identité hittite et la corne d’abondance représentée sur le pourtour de la méditerranée voit sa profusion de nourriture croître sur les facades hausmaniennes parisiennes. Les cycles d’apparition et de disparition iconographiques sont distinctifs dans l’histoire de la Turquie, de l'ère byzantine jusqu’à nos jours, qui a vu s’affronter sur le champ de bataille des images, iconoclastes et iconodules, chrétiens et musulmans. C’est pourquoi nous avons voulu penser l’exposition dans le carde d’un partenariat scientifique avec le musée archéologique d’Istanbul. Des éléments iconographiques empruntés à différentes civilisations et périodes, plus particuliérement à la région de la péninsule anatolienne ainsi que des éléments propre au vocabulaire formel de Marion Verboom sont fabriqués grâce au modelage, au moulage puis au tirage de ces moules. Une grande variété de matériaux et de chromies utilisées pour le tirage participent à éloigner ou rapprocher les formes de leurs sources.
 
Ainsi, l’élévation et la juxtaposition des fragments forment un carottage chronologique ou anachronique. Ces colonnes fluctuantes dans le temps et l’espace, qui s'élèvent aussi rapidement qu’elles se démontent, forment dans leurs unicité une architecture, un petit temple dédié aux images du temps. Au cours des dernières années, Marion Verboom a développé une méthode de travail stratifiée, un mode opératoire pour travailler la matière qui opère sur un mode vertical et horizontal, unités de mesure, transversalité, boucle temporelle ou famille de formes: évoquant la géologie, l’anthropomorphie ou l’architecture.

A la galerie THE PILL®, l’exposition Gesh associe une série de sculptures et de dessins qui questionnent la possibilité d'une intemporalité et d'une continuité en mettant au même niveau des éléments iconographiques empruntés à différentes civilisations, plus particuliérement à la région de la péninsule anatolienne, ainsi que des éléments de son propre vocabulaire formel. Des tirages de moules, d'une grande variété de matériaux et de chromies participent à éloigner ou rapprocher les formes de leurs sources. « Toute œuvre est le miroir d’une autre » – fait dire Perec à l’un des personnages du Cabinet d’amateur –, et de poursuivre « ...un nombre considérable de tableaux, sinon tous, ne prennent leur signification véritable qu’en fonction d’œuvres antérieures qui y sont, soit simplement reproduites, intégralement ou partiellement, soit, d’une manière beaucoup plus allusive, encryptées »
 
L’innovation formelle de Marion Verboom s’appuie toujours sur une forme précédente, fut-elle immédiatement antérieure, ou plus exactement sur une matiére informée: Une main prenant la forme d’une mesure intuitive et dont on aperçoit le squelette en transparence porte le titre d’une unité de mesure sumérienne qui divise chaque jour en 360 unités : « Gesh » ; des atomes sous forment d’aquarelles, table de Mendeleïev génératrice de matière partant d’une base de gris dans lequel est appliqué une couleur.

 

Puis, Trois colonnes « Achronie I, II, II », de profil rond et fracturé, se succèdent. Marion Verboom extrude la forme et établit des transitions tranchées, élève et juxtapose des fragments qui semblent former un carottage anachronique entre: Félin Hittite, drapé byzantin, un morceau d’Ugolin de Carpeaux tronçonné, la vice d’Archimède, une tête de diablotin de l’époque romane, un motif en rocaille, des drapés, ou encore une chevelure empruntée à l'Empereur augustin, un œil, une architecture brutaliste.
 
« Ces colonnes fluctuantes dans le temps et l’espace, qui s’élèvent aussi rapidement qu’elles se démontent, forment dans leurs unicité une architecture, un petit temple dédié aux images du temps. »
— Marion Verboom
 
Enfin, « Cornucopia », une poutre d’abondance, empruntée à un motif du mythe grec essaimé sur tout un territoire géographique, vient clore l’espace d’exposition. D’apparence une poutre de bois, cette résine teintée dans la masse par de la poudre de fonte révèle une nature généreuse melons, raisins, blés, fleurs, pêches .. sur toute sa surface. L’artiste élabore sa pratique comme un art de la mémoire. Ses oeuvres sont des déclencheurs deréminiscences, ils convoquent la notion d'inconscient collectif, ou celle de signes proustiens qui renvoient, au bout d'un certain temps, chaque visiteur à ses propres souvenirs. Semblables à des révélateurs nostalgiques, aux évocations entremêlées, les oeuvres de Marion Verboom invitent le spectateur à entrer dans un état d'immersion, à se figurer l'histoire du temps sur un mode métaphorique, qui personnellement, me rappelle une phrase de Christopher Priest dans Le monde inverti: « J’avais atteint l’âge de mille kilomètres ».
En toute simplicité, la géographie et la durée se confondent et font apparaître un monde étrange qui roule, s'arrête, accélère, brise l'idée commune de linéarité.
 
Anissa Touati
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