Far From The Pictures: Mireille Blanc
Passé exhibition
Communiqué de presse
Pour sa nouvelle exposition, Mireille Blanc propose de nous emmener loin des images. Pourtant, c’est un ensemble de peintures figuratives qui nous accueille dans l’espace de la galerie The Pill à Istanbul. L’œil ne peut s’empêcher d’y reconnaître les fragments d’un quotidien désordonné : un pot de yaourt vide traîne à la renverse, un sweat-shirt git négligemment à terre, une glace à l’eau oubliée fond dans le creux d’une assiette… Le rendu des images témoigne d’une même licence. Il y a des taches, des décolorations, des effets flous. On sent un geste de peinture rapide et libre, à qui peu importe de reproduire fidèlement le réel. Une façon de faire émancipée à l’image des sujets représentés.
A propos du travail de Mireille Blanc, on évoque souvent son rapport à la photographie qui sert de prémisse à ses œuvres picturales. Des clichés, au cadrage rapproché et souvent vite pris à l’iPhone, guident le travail de peinture à l’atelier. Ils ouvrent aussi une brèche dans la vie de l’artiste, qui ne craint pas la banalité. Ces instantanés nous mènent dans sa cuisine, dans une file d’attente, devant une page de journal de classe. Si son œuvre est ouvertement inscrite dans l’espace domestique et la vie de famille, elle convoque tout autant l’histoire de l’art, que la planche numéro 2 de L’Atlas mnémosyne d’Aby Warburg placée à l’entrée de l’exposition signale sans équivoque. Le rapprochement d’illustrations que l’historien allemand créé dans les années 1920 inaugure une nouvelle forme d’enquête visuelle que d’aucun considère comme une véritable rupture épistémologique. Dans sa lignée, Mireille Blanc utilise des images photographiques comme point de départ d’un travail où le voir devient savoir.
C’est dans cet aller-retour entre la grande et la soi-disant petite histoire que Mireille Blanc fraye son chemin d’artiste, sans évacuer pour autant son rôle de mère et son identité de femme. Des indices de sa vie de famille sont en effet bien présents – des jeux de plasticine, des gâteaux d’anniversaire – mais le tableau le plus manifeste quant à son identité de genre est sans aucun doute Emporte-pièce (l’avion) où, comme son titre l’indique, un ustensile de cuisine est posé de façon inattendue sur la tonsure d’un sexe féminin. La forme décorative de l’avion, qui rappelle celle de l’appareil reproducteur féminin, semble vouloir imprégner la matière naturelle du corps nu. Dans cette image, le genre apparaît sous la forme d’un moule posé volontairement sur un attribut physique et il n’est pas clair si le doigt qui retient l’emporte-pièce est celui d’une tierce personne ou de l’artiste elle-même qui, par ce geste, intègre les normes sociales de genre. Dans un registre plus enfantin mais non moins signifiant, la petite sculpture en plasticine du tableau Dog nous rappelle comment la matière est moulée pour devenir forme. Les « chats » représentés sont tout aussi factices, puisqu’il s’agit de gâteaux décorés. C’est ici le nappage qui trans-forme de façon rudimentaire et pourtant absolue la façon dont nous percevons ce qui nous est donné à voir.
Les pâtisseries, les fruits et les sucreries qui abondent dans l’exposition évoquent la gourmandise et le plaisir. Le tableau Croissant qui appartient à cette famille iconographique tisse à nouveau un lien vers l’histoire de l’art canonique car il n’est pas sans rappeler une des brioches peintes par Edouard Manet. Dans sa Nature morte à la brioche de 1880 qui appartient aujourd’hui aux collections des Carnegie Museums à Pittsburgh, la viennoiserie placée sur une assiette bleue au cœur de la composition comme dans le tableau de Mireille Blanc ressemble étonnement à un sexe d’homme au repos. Il y a un érotisme dans cette œuvre que l’on retrouve sous une version contemporaine et féminisée dans le travail de Mireille Blanc, où la sophistication de la pâtisserie française traditionnelle fait désormais place à des plaisirs plus industriels et artificiels, avec emballages et colorants.
Une même sensualité traverse les images de sweat-shirts, autre motif récurrent de l’artiste. A l’instar des photographies de Wolfgang Tillmans qui montrent des vêtements négligemment abandonnés, comme après un déshabillage hâtif, les habits peints évoquent les corps absents et les plaisirs charnels. Ces tissus sont aussi des supports de mots et d’images, où l’histoire de la peinture peut à nouveau s’inscrire. Le survêtement dans Tournesols figure ainsi un tableau bien connu de Vincent Van Gogh, reproduit d’abord sous forme de merchandising, ensuite photographié à la sauvette par Mireille Blanc et finalement repeint par elle à l’atelier, selon une logique de répétition qui rappelle le Refrain placé de façon programmatique à l’entrée de la galerie The Pill, à côté de la référence à Aby Warburg précédemment décrite.
C’est donc paradoxalement par la répétition que Mireille Blanc s’éloigne des images. D’abord par l’éloignement de la peinture qui clame son autonomie vis-à-vis de la reproduction photographique du réel. Ensuite, et avant tout, par le regard singulier qu’elle pose sur le quotidien. A la vie bien rangée de la famille patriarcale, elle oppose sa liberté et sa nonchalance, qui imprègnent autant sa technique que le choix de ses sujets. Au-delà des images parfaites, l’artiste nous confronte à des sensations, à des impressions, à des gestes, à des chairs incarnées. Mireille Blanc ne cherche pas à faire illusion.
Devrim Bayar
Vues de l'exposition
Œuvres
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Mireille Blanc, Chat 1, 2022
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Mireille Blanc, Chat 2, 2022
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Mireille Blanc, Dog, 2022
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Mireille Blanc, Croissant, 2023
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Mireille Blanc, Emporte-pièce (l'avion), 2023
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Mireille Blanc, Goûter, 2022
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Mireille Blanc, Iris, 2023
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Mireille Blanc, Pavlova Zouzou, 2021
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Mireille Blanc, Photo, 2023
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Mireille Blanc, Planche 2 - A.W., 2018
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Mireille Blanc, Refrain, 2023
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Mireille Blanc, Sweat, 2023
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Mireille Blanc, Tournesols, 2022
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Mireille Blanc, Yet, 2023
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