Œuvres
Biographie
Claire Chesnier rencontre d'abord l'art à travers la musique et l'écriture qu'elle pratique très tôt. Elle consacre près de vingt ans à la danse classique et contemporaine. La peinture, qu'elle pratique depuis ses débuts, est la rencontre décisive du geste d'écriture et l'incarnation d'un geste de danse prolongé. Son engagement dans la peinture est tourné vers un rapport physique et poétique au monde, d'appréhension du toucher, et de l'enlacement sensible des choses et de la vie. Ses peintures sont des aubes levées sur l’abstraction, des ajours de lumière dont le spectre se déploie dans des gammes insaisissables. Elles parviennent à une puissance d’élévation vers l’atmosphérique, dans leur abstraction visible, dans leur charge pigmentaire et leur liquidité matériologique. Leur verticalité réglée sur les proportions du corps bascule paradoxalement vers l’horizontalité d’un tremolo, striure de dégradé chromatique qui traverse les œuvres de part en part. Deux axes se surimposent – celui du corps et celui d’une étendue de paysage – qui rendent impossible la reconstitution des étapes de la peinture. Sa peinture répond, aussi, à une nécessité de luxation, de séparation et de déboîtement du monde, ne renvoyant au réel que par pure analogie, commodité ou prétexte. Cette analogie importe néanmoins car la peinture – aussi abstraite puisse-t-elle être (mais ne l’est-elle pas par essence ?) – doit pouvoir provoquer un renversement, se constituer en filtre polarisant sur le monde : ayant pris le monde comme témoin, elle opère une dérive du regard vers un assentiment accordé au réel. C’est ce que produisent les cieux maritimes embrasés de William Turner, les objets peints l’obstination d’une vie par Giorgio Morandi, les zoos et les animaux de Gilles Aillaud, les terrains de sport ou les paysages faibles de Raoul de Keyser, les étendues d’Etel Adnan apurées par la poésie… Ces peintures prennent le monde à témoin, le plient tel un origami dans l’espace pictural, le vident de toute narration et de toute emprise par les mots, pour finalement permettre au regard de redéployer un monde poétisé, amplifié, augmenté.
La couleur, "lieu où notre cerveau et l’univers se rencontrent" comme l’affirme Paul Cézanne, noue une bouleversante intimité avec le regard – intimité autant fondée sur l’harmonie que sur l’interférence, sur l’assentiment que sur la stridence d’une fracture. Pour William Turner, Giorgio Morandi, Gilles Aillaud, Raoul de Keyser, Etel Adnan, comme pour Claire Chesnier, la pensée est intriquée au sein même de la couleur. La couleur pense. Claire Chesnier a noué cette relation particulière, dans la manière dont ses œuvres procèdent d’une réduction du monde – au sens gastronomique du terme, comme on évoque la réduction d’un jus par évaporation vers une forme de quintessence –, dans la manière dont un assentiment est accordé à la couleur comme événement, comme avènement et comme intensité à recouvrer, après-coup, une perception sensible du monde. Il faut vivre avec ses peintures pour en saisir la puissance de modulation, de l’aube au crépuscule, au gré des arythmies du temps qu’il fait et du temps qui passe. L’inscription calendaire est elle-même précisément donnée par les titres des peintures indiquant le jour, le mois et l’année d’aboutissement du tableau. Les peintures de Claire Chesnier s’incarnent, se lient à la lumière du monde par leur versatilité chromatique, leur propension à faire naître de la persistance rétinienne, à fluctuer, à s’enfuir puis à apparaître, à se nimber. Tout se joue dans les recouvrements liquides successifs, dans la manière dont le papier noyé d’eau absorbe les dizaines de passages d’encres. Claire Chesnier précise qu’il n’y a dans sa pratique qu’une abstraction après-coup ou malgré tout. Devant ces couleurs agencées telles un reflet d’eau, un derme crayeux, un moirage métallique, le regardeur est mis en demeure au sens le plus littéral du terme. La surface est la demeure du regard, invité à s’imprégner de ce qui, après la boue déliquescente du temps de la création, après l’assèchement des couleurs en mixtion, se révèle à lui dans une succession d’apparitions chromatiques subtiles, de phosphènes picturaux, de lents bouleversements accompagnés par les fluctuations de la lumière du jour. Alors, une abstraction peut-être, mais une abstraction qui ne nous décolle ni ne nous désengage du réel ou de la sensation, bien au contraire. Le regard porté sur les peintures de Claire Chesnier, pour peu qu’il se laisse porter par la durée et la lumière, se laisse étreindre par le temps qui passe, par le corps de la peinture, finit par se confondre avec ce qu’est un regard : une révélation du monde et du sensible, une mise au point sans cesse réitérée, un aveuglement, une lucidité, une succession de clairvoyances, d’abandons, de pertes, de recouvrements – comme l’on dit parfois recouvrer la vue après une cécité passagère.

 

Claire Chesnier est diplômée de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où elle a obtenu un doctorat en Art et Sciences de l'Art. Elle a remporté plusieurs prix tels que le Prix des Amis des Beaux-Arts, le Prix Talents Contemporains de la Fondation François Schneider, le Prix Art Collector, le Prix Fénéon de la Chancellerie des Universités de Paris ainsi que le Prix Yishu 8 de la Maison des Arts à Pékin.
 
Ses œuvres sont présentes dans plusieurs collections publiques et privées (FRAC Auvergne, Musée Paul Dini, Collection de la ville de Vitry-sur-Seine (MAC VAL), Collection agnès b., Collection François Schneider, ...) et ont été présentées dans de nombreuses expositions personnelles et collectives en France et à l'étranger. Depuis 2022 elle est représentée par la Galerie Ceysson & Bénétière (Paris, New York, Luxembourg, Genève, Lyon, Saint-Etienne) et par The Pill Gallery (Istanbul, Paris) depuis 2023. En 2025, elle est invitée par le Musée de l’Orangerie à participer à une exposition consacrée au thème du flou des années 1950 à nos jours. Elle vit et travaille à Paris.
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